La réponse de Raphael ENTHOVEN
Faut-il re-publier les trois pamphlets antisémites de Céline (Bagatelle pour un massacre, écrit en 1937), puis L’École des cadavres (1938) et Les Beaux draps (1941) ?
D’un coté, ceux qui plaident pour l’accès à toute l’œuvre de Céline (et à ce qu’elle contient de plus infâme) et, de l’autre, ceux qui, comme Serge Klarsfeld, dénoncent « la diffusion de tels textes… alors que les attentats et les actes anti-juifs se sont multipliés et que des enfants juifs sont assassinés de sang-froid… »
Or – malgré l’admiration qu’on doit avoir pour le travail essentiel de Serge Klarsfeld (et la traque des anciens nazis qu’il a conduite avec son épouse, dans le monde entier) – l’argument du contexte ne tient pas. Il y aura toujours assez d’actes antisémites en France (et dans le monde) pour que leur évocation suffise à dénoncer cette publication. Si ce n’est pas maintenant « le moment » de les publier, c’est qu’à ce compte-là ce ne sera jamais le cas.
En n’interdisant pas cette publication, ajoute M. Klarsfeld, « on accepte dans son principe la diffusion de textes d’un homme qui prône la mise à mort des juifs sans exception, mise à mort qui a été suivie d’effet, avec la complicité de l’Etat Français de l’époque… »
Sur le texte, c’est vrai (« Nous nous débarrasserons des juifs, ou bien nous crèverons des juifs » écrit Céline, entre autres horreurs). Mais il est faux de dire, ou de laisser entendre, que ces textes ont préparé la solution finale. La thèse célinienne d’une race aryenne mise en danger par la race judéo-latine n’a eu aucune influence sur le nazisme. Tenir ces pamphlets pour programmatiques ou prescripteurs, c’est prêter à Céline l’influence qu’il n’a jamais eue et qu’il ne peut pas avoir sur son lecteur… Car ces textes sont délirants ! «Racisme d’abord ! Racisme avant tout ! Désinfection ! Nettoyage ! Une seule race en France : l’Aryenne… Notre République n’est plus qu’une entreprise d’avilissement, de négrification des Français sous le commandement juif… »
Croire (comme Alexis Corbière qui est est vent debout contre cette publication) que de telles lectures puissent convaincre un homme (de bonne foi) de basculer dans la haine du juif, c’est nier le rôle de la misère sociale dans l’avènement du nazisme et attribuer à ces textes un pouvoir que l’outrance leur retire définitivement. Bref, c’est prendre les gens pour des cons : il y a plus de chance d’être convaincu par les raisonnements de Rantanplan ds Lucky Luke, que par la logorrhée célinienne sur les juifs.